Un ermitage dans la tempête
Texte de Thich Nhat Hanh
Il y a une trentaine d'années environ, j'ai eu la grande joie de faire une retraite solitaire dans l'ermitage de notre communauté des Patates Douce au nord de la France, dans la forêt d'Othe.
J'allais m'asseoir et marcher au milieu des arbres. Un matin où le temps était très beau, je décidai de passer la journée dans les bois. Je préparai donc un bol de riz, des graines de sésame et une bouteille d'eau, et me mis en route. J'avais prévu de passer toute la journée dehors mais, vers trois heures de l'après-midi, des nuages noirs commencèrent à se rassembler dans le ciel. Avant de quitter l'ermitage ce matin-là, j'avais ouvert la porte et toutes les fenêtres pour que le soleil et l'air frais puissent y pénétrer. Mais bientôt, le vent se mit à souffler et je compris que je devais rentrer pour m'occuper de l'ermitage.
En arrivant, je trouvai l'ermitage sens dessus dessous. Les papiers que j'avais posés sur mon bureau avaient été éparpillés dans toute la pièce par de fortes bourrasques de vent. Il y faisait froid et lugubre. La toute première chose que je fis fut de fermer portes et fenêtres pour que le vent ne puisse pas continuer à faire des ravages. Ensuite, j'allumai un feu dans la cheminée, et, une fois que le feu eut commencé à prendre, je me mis à rassembler toutes les feuilles de papier qui étaient par terre, je les rangeai sur la table, posai une brique par-dessus et essayai de faire un peu d'ordre et de ménage dans l'ermitage. Le feu de cheminée rendit bientôt l'atmosphère chaleureuse, agréable et douillette. Je m'assis devant, en réchauffant mes mains et en écoutant avec bonheur le chant du vent et de la pluie au-dehors.
Il y a des jours où on a l'impression que ce n'est pas vraiment son jour et que tout va de travers. Plus on fait d'efforts, plus la situation empire. Tout le monde connaît cela. Dans ces moments-là, il vaut mieux tout arrêter, rentrer chez soi, fermer toutes les fenêtres et prendre refuge en soi-même. Les yeux, les oreilles, le nez, la langue, le corps et l'esprit sont vos six fenêtres, que vous fermez quand vous vous sentez sens dessus dessous. Fermez les pour empêcher les rafales de vent de s'y engouffrer et de vous rendre malheureux.
Fermez les fenêtres, fermez la porte et allumez un feu. Créez une sensation de chaleur, de confort et de bien-être en pratiquant la respiration en pleine conscience. Remettez en place tout ce qui s'est dispersé en tous sens : vos sensations, vos perceptions, vos émotions; c'est une vraie pagaille à l'intérieur de vous. Reconnaissez et embrassez chaque émotion. Rassemblez-les comme j'ai rassemblé toutes les feuilles de papier qui étaient dispersées dans l'ermitage.
Pratiquez la pleine conscience et la concentration et rangez tout ce qui est en vous. Cela vous aidera à rétablir le calme et la paix.
Si nous ne dépendons que des conditions externes, nous nous perdons. nous avons besoin d'un refuge sur lequel nous pouvons toujours compter; ce refuge est l'île du soi. Fermement établis sur notre île intérieure, nous sommes vraiment en sécurité. Nous pouvons prendre le temps de nous retrouver, de nous établir et de devenir plus forts, jusqu'à ce que nous soyons prêts à sortir à nouveau pour nous engager dans le monde.
Même si vous êtes très jeune, vous pouvez trouver cette île en vous-même. Chaque fois que vous souffrez et que tout semble aller de travers, arrêtez tout et rendez-vous immédiatement sur cette île. Prenez refuge dans votre île intérieure aussi longtemps que vous en avez besoin. Ce peut être cinq, dix ou quinze minutes, ou encore une demi-heure. Vous vous sentirez plus fort et beaucoup plus en paix intérieurement.
Source : La Terre est ma demeure, Thich Nhat Hanh (ed. Belfond)